The Diffusion of Military Power

Voici un livre incontournable, appelé à être un classique des études stratégiques et de relations internationales. Michael Horowitz étudie la diffusion des innovations militaires (porte-avions, armes nucléaires, etc.) et leur impact sur la politique internationale, en particulier sur l’équilibre des puissances et la conduite de la guerre.

Depuis les années 1980, les études sur l’innovation militaire se sont multipliées, notamment car la capacité à innover (technologiquement, organisationnellement, tactiquement, etc.) peut conférer un avantage radical en cas de conflit. Un certain nombre d’études se sont posées la question de l’émulation: pourquoi certains Etats copient les innovations militaires développées par d’autres? Les réalistes ont en général une vision proche de la sélection naturelle: les Etats copient des innovations militaires car elles sont utiles, et ceux qui échouent seront rapidement absorbés par les plus innovants. Les constructivistes nuancent cette position et avancent que des innovations militaires sont adoptées également car elles confèrent un statut (exemple classique des armes nucléaires). Mais lorsque les études précédentes se basaient sur les raisons de l’émulation, Horowitz se penche sur les capacités d’un Etat à émuler une innovation militaire.

L’auteur avance une théorie fondée sur la capacité d’adoption d’une innovation pour expliquer leur diffusion. En substance, une innovation implique des coûts financiers et une réforme organisationnelle et doctrinale afin d’en tirer le meilleur parti au sein des armées. Plus une innovation est coûteuse en fonction de ces deux dimensions (financière et organisationnelle), moins elle a de chances de se diffuser, et vice-versa. Évidemment, la plupart des innovations sont une variation selon ces deux axes. Il y a donc une interaction constante entre le coût de l’innovation elle-même et la capacité de l’Etat à l’adopter. L’auteur avance que les innovations dont le coût financier est important mais qui nécessitent peu de réformes organisationnelles favorisent les puissances établies (puisqu’elles peuvent s’offrir l’innovation sans heurter les différents corporatismes afin de la mettre en place), tandis qu’une innovation peu chère mais nécessitant un fort changement organisationnel favorise les plus petites puissances. Horowitz teste sa théorie avec quatre études de cas: la diffusion des cuirassés, des portes-avions, des armes nucléaires et des attentats-suicides. La plus ou moins grande diffusion d’une innovation a des conséquences sur le système international lui-même, puisque les Etats font face à une série de choix stratégiques en cas de modification majeure de l’équilibre militaire: adopter l’innovation, tenter de la contrer, former une alliance en suivant le leader (bandwagoning) ou au contraire essayer de le contenir (balancing) ou s’orienter vers la neutralité. La capacité de chaque Etat à adopter ou non une innovation a donc des conséquences majeures sur ses potentiels choix stratégiques, ainsi que sur l’évolution du système international.

Horowitz détaille également les conséquences contemporaines de sa théorie. Ainsi, l’adoption d’une capacité aéronavale par la Chine ne constitue pas encore une menace majeure, en raison des difficultés organisationnelles qu’une telle capacité implique. En revanche, l’utilisation de munitions de précision tend à être de moins en moins liée à des plate-formes financièrement coûteuses (avions, sous-marins, etc.) et nécessite peu de réformes organisationnelles: les munitions de ce type devraient donc largement se diffuser dans le futur.

L’ouvrage est un modèle de méthodologie des sciences sociales. L’auteur adopte une approche hypothético-déductive pour établir sa théorie et la teste avec quatre études de cas choisies en fonction des critères classiques (en particulier la variation des variables indépendantes). La méthodologie est un mélange d’approche qualitatives et quantitatives et bien que penchant moi-même fortement du côté des approches qualitatives, je dois bien reconnaître que l’utilisation faite par Horowitz des méthodes quantitatives est excellente et renforce son argumentation. La lecture de l’ouvrage sera certainement surprenante pour un lecteur français habitué aux monographies empirico-descriptives et aux approches historiques des études stratégiques, mais il s’agit d’une saine découverte qui pourrait contribuer à faire évoluer certains de nos auteurs vers plus de rigueur méthodologique.

L’ouvrage n’est pas exempt de défauts, et l’on pourra certainement critiquer le détail de certaines analyses dans les études de cas, regretter le peu d’importance donnée à l’explication culturelle dans la capacité à adopter une innovation ou alors relever des anomalies dans sa théorie. Mais c’est justement le but d’une théorie que de styliser la réalité pour ensuite être critiquée et améliorée.

Rigueur méthodologique, approche théorique solide, réflexions sur la situation contemporaine: il s’agit d’un ouvrage incontournable que tout étudiant sérieux des études stratégiques se doit de lire et de méditer, un vrai classique en devenir.

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